Donations familiales : les clés d'une succession planifiée et harmonieuse - Les donations non formalisées
par Maître Romain Grau (Avocat Associé chez SIMON ASSOCIES)
La transmission de patrimoine est un sujet crucial pour de nombreuses personnes, soucieuses de garantir la pérennité de leur héritage et de préparer l’avenir de leurs proches. Dans cette optique, la donation émerge comme un outil robuste, permettant non seulement de préparer la transmission de son patrimoine de son vivant, mais également de l’optimiser. En effet, la donation offre une panoplie d’avantages fiscaux et juridiques, tout en favorisant une répartition équitable et harmonieuse des biens.
Dans le cadre de deux articles l’un consacré aux donations « formalisées » et l’autre consacré à celles non formelles et donc à manier avec plus de précautions, nous examinerons de près les dispositifs fiscaux destinés à atténuer les charges liées aux donations, offrant ainsi une perspective claire sur les outils disponibles pour optimiser la transmission de patrimoine tout en minimisant les conséquences fiscales.
Partie 2 : Les donations non formalisées à manier avec précaution
Les présents d’usage
Le présent d’usage est une notion juridique qui désigne un acte par lequel une personne, le donateur, fait un cadeau à une autre personne, le donataire, sans contrepartie et dans un cadre familial ou social. En effet, le présent d’usage est caractérisé par l’appauvrissement du patrimoine du donateur et l’enrichissement du patrimoine du donataire bénéficiaire.
La qualification de présent d’usage suppose de remplir deux conditions :
- un usage social ou familial d’offrir un cadeau : cadeau de naissance, d’anniversaire, de mariage, etc. ;
une valeur modique du présent à la date à laquelle il est consenti, notion toute relative puisqu’elle s’apprécie au regard de la situation de fortune du donateur[1].
En pratique, le présent d’usage peut revêtir différentes formes : une somme d’argent, un meuble meublant, le paiement d’une dette ou le remboursement d’un prêt modique, etc.
A noter que pour l’administration fiscale, les sommes que les parents versent sur un plan d’épargne-logement ouvert au nom de leurs enfants constituent des présents d’usage[1]. Compte tenu du montant susceptible d’être versé sur un PEL (jusqu’à 61 200 €), la solution est très favorable. Cette qualification reste néanmoins une question de fait qui, en cas de litige, relève de la compétence du juge judiciaire.
L’intérêt fiscal du présent d’usage réside dans le fait que, une fois qu’il est qualifié comme tel, le bénéficiaire n’a pas à le déclarer à l’administration fiscale. Autrement dit, le montant ou le bien reçu par le donataire n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu, ce qui constitue un avantage significatif par rapport à d’autres formes de revenus.
Cette exonération fiscale est valable tant que le présent d’usage remplit les critères légaux requis. Notamment, il doit être réalisé dans un cadre familial ou social, sans but lucratif, et sa valeur ne doit pas être disproportionnée par rapport aux moyens financiers du donateur. De plus, le présent d’usage doit être clairement identifiable comme un acte de générosité et de bienveillance de la part du donateur envers le bénéficiaire. Par suite, ils doivent être maniés et utilisés avec précaution car tout usage abusif pourrait entraîner un risque de requalification fiscale.
Les dons manuels
Le don manuel est une donation effectuée par la remise matérielle de la main à la main (la « tradition réelle ») de la chose donnée au donataire. Il peut porter sur tout bien susceptible de tradition. Un immeuble ne peut donc pas faire l’objet d’un don manuel. Le don manuel peut porter non seulement sur de l’argent, mais également sur tout bien meuble corporel (voiture, tableau, bijoux, etc., sauf rares exceptions concernant notamment les bateaux et avions dont le transfert de propriété doit faire l’objet de formalités de publicité spécifiques.
Dans le contexte du transfert de propriété, la publicité se réfère à un processus par lequel les informations concernant le changement de propriété d’un bien sont rendues accessibles et visibles aux tiers intéressés. Cela peut se faire par le biais de divers moyens, tels que des annonces légales dans des journaux spécialisés, des publications officielles dans des registres publics, ou des notifications aux autorités compétentes.
Dans le cas des bateaux et des avions, où le transfert de propriété nécessite des formalités de publicité spécifiques, cela implique généralement l’enregistrement du changement de propriété dans des registres officiels tenus par les autorités maritimes ou aéronautiques compétentes.
Sur le plan fiscal, les dons manuels ne sont pas par eux-mêmes taxables. Cependant, ils le deviennent dans quatre situations [1]:
- en cas de déclaration volontaire par le donataire ou ses représentants dans un acte soumis à l’enregistrement. Par exemple, un acte soumis à l’enregistrement, tel qu’un contrat de vente immobilière, est un document juridique qui doit être officiellement enregistré auprès des autorités compétentes, comme le service des impôts ou le bureau de l’enregistrement foncier. Cela permet de rendre la transaction juridiquement contraignante, d’assurer la sécurité juridique des parties impliquées et de calculer les droits de mutation à titre onéreux.
- lorsqu’ils font l’objet d’une reconnaissance judiciaire. La reconnaissance judiciaire désigne le processus par lequel un tribunal examine et valide juridiquement un acte ou un événement. Dans le contexte des dons, la reconnaissance judiciaire peut intervenir lorsque la validité ou la légalité d’un don est remise en question et que les parties impliquées soumettent le litige à un tribunal pour obtenir une décision légale définitive ;
- lorsqu’ils sont révélés par le donataire (ou ses représentants) à l’administration fiscale , comme par exemple lors d’un contrôle fiscal;
- si une donation postérieure constatée par un acte intervient entre les mêmes personnes, ou lors du décès du donateur si le donataire figure parmi les successibles (règle du rappel fiscal des donations antérieures) La règle du rappel fiscal des donations antérieures s’applique lorsque de nouvelles donations sont effectuées entre les mêmes parties, ou lors du décès du donateur si le donataire est héritier, entraînant la prise en compte des donations antérieures dans le calcul des droits de succession ou de donation.
Le fait générateur de la taxation est constitué par la reconnaissance judiciaire, la révélation du don, le décès du donateur ou la nouvelle donation ou encore l’acte renfermant la déclaration.
Il n’existe pas de règle légale d’assiette pour les dons manuels taxés par voie de rappel fiscal. Selon l’administration, ces dons sont imposables sur la valeur des biens au jour de la nouvelle mutation (donation ou succession) à laquelle ils sont rapportés, d’après leur état à l’époque du don.
Il est important de noter que les dons manuels peuvent parfois poser des problèmes de preuve en cas de litige, car ils ne laissent pas toujours de trace écrite ou de document officiel. C’est pourquoi, en pratique, il est donc recommandé de rédiger un « acte de reconnaissance de don manuel » ou « pacte adjoint » qui désigne la convention qui suit la remise matérielle d’un don manuel.
L’objectif du pacte adjoint est de formaliser le caractère libéral de la transmission, l’acceptation du donataire, et de préconstituer la preuve de l’existence du don manuel, de sa date et de ses modalités (charges, dispense de rapport, etc.).
L’établissement d’un tel pacte est particulièrement efficace pour des dons manuels portant sur des valeurs mobilières, des objets d’art, ou des sommes d’argent destinées à être investies.
Cependant, il conviendra de veiller à ce que le pacte adjoint n’opère pas par lui-même la donation car il violerait l’article 931 du Code civil exigeant la forme notariée. Pour ce faire, il est conseillé de se rapprocher d’un conseil (et notamment d’un avocat, d’un notaire…).
Les informations présentées correspondent au cadre fiscal et juridique en vigueur le premier mars 2024
[1] C. civ. art. 852, al. 2
[2] BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 250
[3] Articles 757 et 784 du CGI