Le démembrement, un outil de planification patrimoniale efficace
Par Maître Romain Grau (Avocat Associé chez SIMON ASSOCIES)
Dans le domaine de la transmission de patrimoine, le démembrement de propriété émerge comme une stratégie fiscalement avantageuse, offrant une gestion patrimoniale optimisée. Cette approche, consistant à séparer l’usufruit de la nue-propriété, présente une solution avantageuse pour réduire les charges fiscales liées à la succession tout en préservant l’usage du bien pour le donateur.
Avec l’évolution des cadres législatifs et la quête constante de moyens pour transmettre efficacement le patrimoine à ses héritiers, le démembrement de propriété attire une attention croissante. Il représente une voie privilégiée pour ceux qui cherchent à conjuguer gestion patrimoniale et anticipation successorale, en minimisant l’impact fiscal pour les générations futures.
Compréhension du démembrement de propriété
Le démembrement de propriété consiste à séparer le droit de propriété d’un bien entre deux personnes distinctes : l’usufruitier et le nu-propriétaire. L’usufruitier jouit de l’utilisation du bien et peut en percevoir les revenus, sans en être le propriétaire absolu. Cette jouissance est généralement temporaire, s’éteignant souvent au décès de l’usufruitier.
De son côté, le nu-propriétaire détient les droits de propriété sur le bien, mais sans pouvoir en jouir ou en tirer profit immédiatement. À terme, à l’extinction de l’usufruit, généralement au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire accède à la pleine propriété sans frais de succession supplémentaires.
Cette séparation offre des avantages significatifs en termes de planification successorale et fiscale.
Elle permet notamment une transmission de patrimoine réduite en droits de succession, car la valeur taxable du bien est ramenée à celle de la nue-propriété au moment du transfert. Le démembrement est donc particulièrement pertinent pour les biens immobiliers de valeur, où les enjeux fiscaux peuvent être substantiels.
De plus, cette stratégie assure la préservation du patrimoine familial tout en autorisant une flexibilité dans sa gestion et sa transmission.
Avantages fiscaux du démembrement
Le démembrement se révèle avant tout avantageux car il permet de bénéficier d’une réduction des droits de succession et de donation. En séparant l’usufruit de la nue-propriété, la base imposable lors de la transmission du bien est considérablement réduite.
Pour les donations, cela signifie que seule la valeur de la nue-propriété est soumise à imposition, valeur inférieure à celle de la pleine propriété. Cette réduction de l’assiette taxable permet d’exploiter au mieux les abattements fiscaux disponibles, renouvelables tous les 15 ans, et de minimiser les droits de donation.
Au décès de l’usufruitier, la transmission de la pleine propriété aux nus-propriétaires s’effectue sans droits de succession supplémentaires sur la valeur de l’usufruit, ce qui représente une économie significative. Cette stratégie est d’autant plus avantageuse que la valeur de l’usufruit diminue avec l’âge de l’usufruitier, réduisant ainsi les droits de donation lors de la transmission initiale de la nue-propriété.
Exemple pratique :
Mme X, veuve, âgée de 68 ans, souhaite donner à ses deux enfants des biens d’une valeur de 500 000 €, soit 250 000 €
1ère hypothèse – Donation de la pleine propriété
Assiette des droits par enfant : 500 000 / 2 = 250 000 €
Abattement : 250 000 – 100 000 = 150 000 €
Droits dus : (150 000 x 0,2) – 1 806 = 28 194 €
Droits dus pour la donation aux deux enfants 56 388 €
2nde hypothèse – Donation de la nue-propriété
Assiette des droits par enfant : 500 000 / 2 = 250 000 €
Valeur de la nue-propriété 250 000 x 60 % = 150 000 €
Abattement : 150 000 – 100 000 = 50 000 €
Droits dus : (50 000 x 0,2) – 1 806 = 8 194 €
Droits dus pour la donation aux deux enfants 16 388 €
Le gain réalisé grâce au démembrement est de 40 000 €
Démembrement à l’entrée et clause bénéficiaire :
Le démembrement de propriété est une pratique qui peut être effectuée s’agissant d’un contrat d’assurance-vie.
En effet, lorsqu’il s’agit d’une assurance vie, le démembrement peut être réalisé dès la souscription du contrat, c’est ce qu’on appelle le démembrement à l’entrée. Dans ce cas, le souscripteur désigne une personne comme usufruitière et une autre comme nue-propriétaire.
De plus, il est possible de prévoir une clause bénéficiaire spécifique dans le contrat d’assurance vie en cas de démembrement. Cette clause précise la répartition des capitaux entre l’usufruitier et le nu-propriétaire en cas de décès de l’assuré. Elle peut être fixe (par exemple, 70 % pour l’usufruitier et 30 % pour le nu-propriétaire) ou flexible, permettant aux bénéficiaires de décider de la répartition au moment du décès.
De manière traditionnelle, les bénéficiaires sont souvent désignés comme suit :
- le conjoint survivant (ou son partenaire de Pacs) pour l’usufruit ;
- les enfants à parts égales pour la nue-propriété.
En cas de décès du souscripteur, l’assureur verse le capital constitué sur le contrat au conjoint survivant. Le conjoint quasi-usufruitier, bénéficiaire également des liquidités, peut, selon les termes de la clause prévue, les utiliser et les faire fructifier à son profit. En revanche, les enfants nus-propriétaires détiennent uniquement un droit de créance correspondant au montant nominal de la somme reçue par le conjoint en quasi-usufruit.
Lors du décès du conjoint usufruitier, la créance de restitution devient exigible et la pleine propriété du bien se reconstitue entre les mains des enfants nus-propriétaires. À ce moment, ces derniers se voient attribuer la valeur du capital initial, répartie entre eux par partage.
Compte tenu de ces éléments, le démembrement de la clause bénéficiaire d’une assurance-vie poursuit un double objectif patrimonial :
D’une part, il vise à protéger financièrement le conjoint survivant, tout en assurant la préservation des actifs au sein de la famille. En effet :
- Le conjoint quasi-usufruitier jouit de pouvoirs étendus sur le capital transmis, lui permettant de maintenir son niveau de vie personnel après le décès de l’assuré.
- Les enfants nus-propriétaires recevront ultérieurement la valeur du capital constitué par le souscripteur.
Cette approche permet de préserver les droits de chacun et d’organiser la succession de manière transgénérationnelle, tout en optimisant la fiscalité.
D’autre part, le démembrement de la clause bénéficiaire de l’assurance vie se révèle particulièrement avantageux pour les patrimoines importants. En effet, la fiscalité ne s’applique qu’une seule fois, lors du dénouement du contrat à la suite du décès du souscripteur. Cette fiscalité est considérablement réduite grâce à la combinaison des abattements et des avantages associés à l’assurance vie et au démembrement :
- Le conjoint usufruitier bénéficie d’une exonération totale des droits de succession sur le capital ;
- Les enfants nus-propriétaires sont soumis à une fiscalité avantageuse de l’assurance vie au moment du décès, calculée sur une valeur minorée des primes imposables proportionnellement à leurs droits. Cette part est établie selon le barème fiscal en fonction de l’âge de l’usufruitier.
- À la disparition de l’usufruitier, les enfants accèdent à la pleine propriété sans être assujettis à une nouvelle taxation.
Pour pallier le risque d’imposition des nus-propriétaires lors du décès de l’assuré, alors même qu’ils ne reçoivent aucun fonds, la clause bénéficiaire peut être aménagée. Elle peut prévoir par exemple que les impôts dus par les bénéficiaires de la nue-propriété seront prélevés sur la somme à verser par l’assureur, au bénéficiaire de l’usufruit. Ainsi, la créance de restitution des nus-propriétaires sera réduite de ce montant payé pour leur compte.
Conclusion :
Le démembrement représente une stratégie patrimoniale robuste qui répond à divers objectifs, tels que la transmission de patrimoine, l’optimisation fiscale et la protection du conjoint survivant.
Cependant, il est crucial d’examiner attentivement les implications juridiques et fiscales avant de mettre en œuvre un démembrement. Il est donc vivement recommandé de solliciter l’expertise d’un professionnel lors de sa mise en place.